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Fiche de lecture : Edward Luttwak, le paradoxe de la stratégie

Maîtrise de science politique de Lyon III. TD Sécurité International d'Etienne de Durand (2001-2002)

Fiche de lecture : Edward N. Luttwak : Le paradoxe de la stratégie Edward N. Luttwak, le paradoxe de la stratégie, Odile Jacob, Paris, 1989, 332 pages.

I La logique paradoxale de la stratégie

A. La logique horizontale de la guerre

  1. Paradoxe de la stratégie - La logique en action - le point culminant - Le caractère antinomique de la guerre
  2. La technologie et la tactique - La trilogie de la technique : " La trilogie de la technique " (techniques appliquées, étude des résultats, niveau technique)

B. La culture stratégique

  1. La culture stratégique
  2. Les non-stratégies

II. Logique militaire contre logique politique ?

A. La défense et l'attaque (stratégie de théâtre)

  1. La défense - La défense en avant - La défense en profondeur
  2. L'attaque - Offensive sur front vaste - Offensive par pénétration profonde sur un front étroit

B. La grande stratégie

  1. La suasion armée
  2. Harmonie et inharmonie

 

Le livre de Edward Luttwak, the Logic of War and Peace ou le paradoxe de la stratégie apparaît en 1987 aux USA et montre le désir de l'auteur de restaurer une " vraie stratégie ". Luttwak " entre " dans le " champ stratégique " avec l'arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche en 1981 en même temps que Colin S. Gray. On les qualifie de " restaurateurs " de la pensée stratégique. Ces deux auteurs ont un triple objectif selon François Géré " 1 ) surmonter la rupture nucléaire en réactualisant le concept de victoire ; 2) réduire le flux de pensée de l'arms control ; 3) restaurer une authenticité stratégique en ne s'appuyant plus sur la science économique, la gestion et les mathématiques, mais sur les disciplines qui ont toujours servi la pensée stratégique : l'histoire et la géographie ". Il se situe donc dans une approche culturaliste. Pour Luttwak, tout à la guerre est antinomie. Dans le domaine technologique, le mieux est souvent l'ennemi du bien. L'efficacité stratégique contredit souvent la logique économique. La guerre est donc faite de paradoxes qui n'obéissent pas à une logique linéaire ( à l'inverse de la rationalité économique ou de " l'usage courant, qui guide notre vie dans toutes les autres sphères de l'existence"). Cette logique paradoxale connaît diverses phases : action-culmination - déclin-renversement. En effet, tel est le paradoxe de l'arme nucléaire, qui du fait de son excès de puissance, a atteint très rapidement son point culminant d'efficacité et donc entamé son " déclin ". Elle ne peut, selon Luttwak, servir aucune stratégie militaire, encore moins en constituer une par ses propres effets (concept de non-stratégie). Pour Luttwak, " l'affrontement dynamique de volontés opposées est la source unique de cette logique invariable mais les facteurs qu'elle conditionne varient selon le niveau de la rencontre ". Luttwak va définir 5 niveaux qui forment une hiérarchie, mais qui vont avoir des interactions les uns sur les autres.

Le monde connu en 1688 par Jaugeon
La France en 1804

Ces 5 niveaux sont : le niveau technique, le niveau tactique, le niveau opérationnel, la stratégie du théâtre de la guerre et enfin la grande stratégie. Pour Luttwak, la stratégie possède deux dimensions : la dimension verticale (superposition des différents niveaux) et la dimension horizontale, qui est celle " de la logique dynamique qui déploie ses effets, concurremment, à chacun des niveaux (1) " qui correspond au paradoxe de la stratégie. Le propos de Luttwak, dans ce livre, n'est pas de donner une définition abstraite de la stratégie, mais plutôt de montrer " les lignes de partage de la stratification naturelle des phénomènes conflictuels ", car " les définitions abstraites ne peuvent nous livrer que les formes creuses de la stratégie et non son contenu changeant (2) ". Il n'a, en effet, que l'intention d'exprimer les réalités objectives qu'il a observées, notamment à travers un cas d'espèce : la défense de l'Europe occidentale face à l'armée soviétique et qu'il va comparer avec les doctrines normatives d'institutions ou d'observateurs intéressés. Nous allons voir successivement ce qu'est la logique paradoxale de la stratégie, puis voir s'il y a une opposition entre la logique militaire et la logique politique pour déterminer la stratégie.

I La logique paradoxale de la stratégie

A La logique horizontale de la guerre :la technologie et la tactique

1) Paradoxe de la stratégie

Le paradoxe de la stratégie consiste en une intervention des contraires. Le plus peut le moins et inversement. C'est-à-dire, entre deux chemins, l'un direct et l'autre détourné, il vaudrait mieux prendre le chemin détourné, avec les risques de frictions organisationnelles aggravés, afin de créer un effet de surprise chez l'adversaire, qui sera capable ou non de réagir, mais dans tous les cas, l'action paradoxale réussie créera un avantage. Cette manœuvre comporte une incertitude assez élevée quant aux chances de succès, mais tel est le risque qu'il faut encourir pour obtenir un effet démultiplicateur de l'action de la force physique. A l'opposé, l'attrition comporte un résultat moins aléatoire, mais par un frottement mutuel des forces en action, les pertes sont plus considérables et seul le plus fort gagne. De ce fait, c'est le plus faible des deux qui aura le plus à gagner s'il prend le risque de s'affaiblir davantage encore par une manœuvre paradoxale (la ligne de la moindre probabilité) pour obtenir un effet de surprise pouvant lui apporter la victoire. Mais l'intervention des contraires dans la logique paradoxale peut survenir au sein d'une action paradoxale si celle-ci se poursuit indéfiniment. La surprise devient alors prévisibilité. De même, une force armée proche de la victoire peut l'emporter sur son ennemi en déroute à condition qu'elle effectue davantage d'efforts. Cependant, cette armée se trouvera proche de son point culminant de succès, comme ce fut le cas pour Hitler aux portes de Moscou : il du étirer ses forces, ce qui compliqua l'approvisionnement et affaiblit ses troupes. Si l'ennemi, au lieu de perdre le moral, redouble d'énergie il pourra renverser la situation à son profit. L'action paradoxale se joue donc en 4 étapes : action - culmination - déclin- renversement.

Armée Allemande traversant un village russe
Troupes soviètiques en Russie

Tel fut le cas pour les bombardements stratégiques opposants la Grande-Bretagne et l'Allemagne où chaque camp effectua des progrès tellement décisifs ( radars...) que l'adversaire se devait de réagir en développant des contre-mesures annulant la nouvelle invention. De ce fait, une invention peut apporter plus d'effets négatifs que positifs, contrairement à la logique des ingénieurs. De même, produire en masse un type d'armement peut certes permettre des économies d'échelles, mais une contre-mesure anéantira l'efficacité de toutes les armes ainsi développées. Ainsi, il vaut mieux avoir des armes moins perfectionnées, pouvant connaître des utilisations multiples, et plus diverses. L'étroitesse ne triomphe pas de l'ampleur, à condition que les contre-mesures soient développées. Ainsi, les torpilleurs sont contrés par les gros croiseurs protégés par une flotte de contre-torpilleurs et par la dotation de canons plus petits. Les missiles anti-tank seront mis en échec par l'utilisation conjointe de l'infanterie motorisée et de mitrailleuses. Ce sont donc de fausses bonnes solutions. Le camp qui développe ainsi des contre-mesures est lui-même proche de son point culminant. Il ne faut donc jamais " trop " réussir ni dans la défense (Dien Bien Phû), ni dans l'attaque (bomber command) c'est la loi de la convergence extrême des opposés.

Le blitz de Londres en 1940 Le Spitfire Anglais Le Bf 109 Allemand

Luttwak considère donc que la guerre mène à la paix, quand elle permet la victoire totale d'un camp sur l'autre, ou " par suite d'épuisement complet des combattants ou parce que les objectifs respectifs dont l'incompatibilité a donné lieu à la guerre se sont transformés sous l'effet de la guerre elle-même (3) ". En effet, quand la guerre est déclenchée pour un prix raisonnable, si les gains espérés ne compensent pas les pertes déjà subies, il n'y a plus grand intérêt à continuer la guerre. De même, quand il y a dissymétrie des intérêts, l'un risque de tout perdre dans la guerre, alors sa résistance sera d'autant plus forte. Luttwak reconnaît aussi que la paix mène à la guerre. Il rejoint ici la vision de Gaston Bouthoul (4), en ce que la paix permet des changements démographiques, culturels, économiques et sociaux qui rompent l'équilibre des puissances ou l'image collective qu'une nation se donne. Cela créé une tension entre le statut du pays et l'idée qu'il se fait de lui. Par conséquent, ce déséquilibre est d'autant plus aggravé si les pays en paix négligent leur préparation à la guerre. " Si la paix n'incitait pas à la guerre, il n'y aurait pas de conflit armés car la guerre ne peut se perpétuer d'elle-même et engendre sa propre destruction (5)".

2) La technologie et la tactique

Luttwak va maintenant aborder les 5 niveaux de la stratégie que sont : le niveau technique, le niveau tactique, opérationnel, la stratégie du théâtre de guerre et enfin la grande stratégie. Nous allons aborder ici le niveau de la technique, que nous avons déjà brièvement présenté ci-dessus, puis la tactique. Les effets techniques n'importent que dans la mesure où ils ont des effets tactiques. Le niveau tactique, lui, dépend des performances techniques de l'armement. Luttwak, nous l'avons dit, va faire une étude de cas de la défense de l'Europe occidentale face à une attaque soviétique encore possible à son époque. Cette n'est pas uniquement intéressante par ses enseignements et conseils pratiques, qui sont dépassés, mais plutôt dans les erreurs à ne pas commettre à ces niveaux. En effet, les techniciens ont une importance croissante dans la guerre moderne actuelle, et la RMA (6) ne fera qu'amplifier ce phénomène, même s'il convient de remarquer les nombreuses incertitudes qui planent sur la réalité des progrès concernant les senseurs, les véhicules plus légers et les nouvelles armes (spatiales, agent biologique ), hormis les progrès concernant les NTIC et l'informatique (7).

A l'époque, deux combinaisons sont envisagées contre une invasion de tanks soviétiques. Opposer une infanterie dotée de missiles antichars économiques, avec un tir de longue portée et avec un bon taux de réussite de perçage du blindage, qui dispose d'une supériorité technique ou le développement de systèmes d'attaque en profondeur. La supériorité technique ou son maintient est recherchée par toutes les armées. Le fossé ou " gap " technologique est actuellement au centre des préoccupations militaires des grandes nations (8) et ce d'autant plus que cette supériorité a été affirmée par les USA lors de différents conflits. J. Fuller (9) attribue 90% des victoires militaires dans les guerres contemporaines à la détention et au bon usage des armements les plus modernes. Cependant, Luttwak rappelle que les réactions de l'adversaire face à ces progrès technologiques peuvent être menés avec des armes simples, plus nombreuses, ou des armes plus élaborées en petit nombre.

Les lois de la technique s'imposent jusqu'aux limitations définies par les militaires et les politiques. Ainsi, il y a une divergence de desseins entre les techniciens et les militaires. Le militaire recherche la quantité en renonçant à la qualité maximale d'une arme, à la différence des techniciens. Pour Luttwak, ces derniers ne tiennent souvent pas compte des considérations politiques, sauf quand un Hitler ou Staline est à la tête de l'Etat ou en cas de décision très importante. Les techniciens gardent une autonomie plus forte pour les questions de routine et pour les affaires qui prêtent à controverses entre les scientifiques eux-mêmes. L'essentiel reste que l'innovation ne constitue pas à elle seule une révolution stratégique, elle doit être comprise et mise en œuvre par les chefs militaires et s'insérer dans des choix tactiques, opérationnels ou stratégiques. Tel est l'exemple de la mitrailleuse utilisée dans l'artillerie et non dans l'infanterie par la France en 1870.

La mitrailleuse DE REFFYE en 1870

Finalement, il convient de remarquer que la supériorité technologique américaine n'a réussit à "infliger" que 6% de destruction à l'armée serbe. Il convient d'aborder le deuxième niveau abordé par Luttwak : le niveau tactique. Le niveau tactique n'est plus le simple duel, mais l'affrontement d'unités entières. A ce niveau, le terrain à son importance, car son bon usage peut déterminer le succès ou l'échec. A ce cadre naturel s'ajoutent les qualités essentielles des forces armées : la capacité, le don de commandement, le moral, la discipline et la cohésion de l'unité qui vont être déterminantes sans compter la chance et les intempéries. Dans l'étude de cas, nous voyons les tanks soviétiques " protégés " de la vision démoralisante (tués, blessés…) du champ de bataille alors que le fantassin prend conscience de sa fragilité. Il y a donc une dissymétrie entre les tensions du défenseur et celles de l'assaillant. La dimension humaine du combat se révèle donc au niveau de la tactique. Reste à aborder le niveau opérationnel.

Guerre en Irak

B non-stratégie et culture stratégique

1) culture stratégique

Luttwak va étudier dans le niveau opérationnel le style national ou la culture stratégique (10) d'un pays. L'étude de ce style est importante car elle peut permettre de comprendre comment réfléchit et agit un pays dans la guerre. Il se penche donc spécifiquement sur l'institution militaire. Le style national correspond à une constance dans la hiérarchisation des préférences depuis des époques anciennes et formatrices. Les styles nationaux sont tellement enracinés qu'ils continuent même d'être pratiqués quand l'environnement militaire extérieur a changé. Seule une nouvelle expérience historique quant au déroulement et au résultat d'une guerre va faire changer la culture stratégique d'un pays. De plus, le style national se détermine en fonction de l'idée qu'un pays se fait de sa force ou de sa faiblesse relative. Le niveau opérationnel se situe dans l'interstice de la tactique et la stratégie. Le militaire ne défini plus la stratégie, le politique le remplace. Le niveau stratégique est celui du plan de guerre avec une prédominance du politique tandis que le niveau opératif est celui du plan de campagne fondé sur des considérations militaires. Le niveau opérationnel est défini par une échelle d'une certaine diversité, mais surtout par le style de la guerre adopté dans un cadre donné. En effet, c'est au niveau opérationnel que la culture stratégique se fait le plus sentir, car les militaires doivent répondre aux impératifs politiques et aux nécessités stratégiques opérationnelles. De ce fait, il ne faut donc pas une grammaire de la guerre différente de celle du politique.

Guerre Iran - Irak
Bombardements de l'OTAN en Serbie

Cette culture constitue un schéma intellectuel qui va guider dans l'urgence le militaire. Les militaires vont donc soit pratiquer une guerre d'attrition, soit une guerre de manœuvre. La manœuvre (puissance et mouvement) n'est qu'un "mode opératif et tactique fondé sur le mouvement ". La manœuvre vise à exploiter les points faibles de l'ennemi. Elle fait intervenir un élément supplémentaire : l'intelligence (surprise) qui vise à démultiplier l'action de la force physique. Elle utilise pleinement la dimension paradoxale de la guerre, à la différence de la guerre d'usure qui n'est que mécanique. Ainsi, la manœuvre symbolise la " vraie " stratégie. A l'inverse, l'attrition vise à " fatiguer l'adversaire et à le démoraliser par les résultats cumulés d'une série d'actions dont aucune n'est susceptible, à elle seule, d'engendrer un résultat décisif". Il y a donc une usure mécanique provoquée à l'instar du frottement de deux corps. L'attrition paraît être choisie par celui oui est incapable d'obtenir des résultats décisifs. Ce serait donc la stratégie du plus faible. Mais l'attrition peut aussi participer de la stratégie d'anéantissement où l'on " grignote " l'adversaire. Il reste que cette attrition est ressentie par l'armée qui la pratique. Les forces connaîtront une usure comparable à celle de l'adversaire. Cependant, si elle apparaît être la stratégie du plus faible, il convient de remarquer que son choix est une question de rapport de force plus que de choix doctrinal. Ainsi, la guerre d'attrition est pratiquée plus efficacement par l'armée la plus forte, en nombre, puissance et capacités économiques et psychologiques de mobilisation. La Grande-Bretagne, elle, sûre de sa force durant ses guerres de colonisation, va pratiquer l'attrition. A l'inverse, face aux grandes nations continentales en Europe, elle va utiliser la manœuvre relationnelle ou grande stratégie selon Liddell Hart. L'importance de la connaissance de la culture stratégique de l'adversaire révèle son importance quand on sait que l'uniformité technique n'entraîne pas une homogénéisation culturelle. Les Américains utilisent une stratégie de dissuasion par risque de destruction mutuelle assurée, en revanche les Soviétiques maintiennent une stratégie de prévention de la guerre ou de limitation des dommages plutôt qu'une posture offensive et qu'une capacité de première frappe. L'arme est la même, mais la grammaire est différente.

Soldat Israélien sur les hauteurs du Golan. Guerre du Kippour (6-25 octobre 1973)

Irak: Terrorisme ou guérilla ?

Les styles nationaux changent donc du fait d'une expérience historique qui peut être lente ou rapide (Tsahal en 1973). L'essentiel réside dans la perception de sa force ou de sa faiblesse relative. Si l'on se croit fort alors même que l'environnement stratégique a changé, le style va perdurer. Seule la guerre permet de mesurer sa force, du fait de la non-fongibilité des forces. Ce style dévient, pour Luttwak " moins homogène au cours d'une période de transition ". Ainsi le style national fluctuera entre une préférence pour la manœuvre ou l'usure. Etant donné qu'aucune n'existe à l'état pur, le style national oscillera entre les deux. Luttwak va dans son livre étudier les non-stratégies dans sa partie sur le niveau du théâtre de guerre qui paraît uniquement accès sur les opérations terrestres. Nous aborderons ici cet élément car, après avoir étudié les niveaux techniques, tactiques et opérationnels nous sommes à même de comprendre pourquoi les forces navales, aériennes et nucléaires ne sont pas, pour Luttwak, des stratégies.

2) Les non-stratégies

Le niveau du théâtre de guerre (11) correspond à un territoire spécifique qui forme l'enjeu même de l'affrontement. Ce territoire peut-être aussi vaste qu'un sous-continent ou aussi petit qu'une île. Ce théâtre de guerre doit former un tout militaire qui se suffit à lui-même et non la partie d'un tout plus vaste. A ce niveau, Luttwak se demande s'il convient d'élever au rang de stratégie les forces navales, aériennes et nucléaires. Pour lui, ces prétentions sont exagérées, car l'élévation au rang de stratégie suppose que chacune fonctionne selon une logique qui lui serait propre. Car dans ces domaines, l'espace n'a que peu d'influence sur le déroulement des combats. En effet, les progrès techniques affectent leur mobilité et ils réduisent donc son importance. L'essentiel réside donc dans la mobilité des forces. En effet, plus leur mobilité est grande, moins importe le lieu où elles se trouvent stationnées, ce qui est impossible pour les forces terrestres. Ainsi, pour qu'il y ait une stratégie maritime ou nucléaire, il faut que cette branche puisse exercer un effet décisif en elle-même (12). Pour Luttwak, le succès du Royaume-Uni est à chercher non dans sa puissance maritime, mais dans le succès de sa politique étrangère destinée à maintenir l'équilibre des puissances en Europe. Cette puissance maritime est au service de cette politique étrangère. De ce fait, les financements étaient en priorité donnés à la diplomatie plutôt qu'à la Royal Navy, qui connaît un financement médiocre. Il n'y a donc pas de stratégie navale(13).

Porte avion Charles de Gaulle
le HMS Exeter (Royal Navy)

Dans le domaine aérien, " la thèse soutenue par Douhet, Mitchell et Trenchard était que l'aviation offrait la possibilité de pénétrer directement au cœur du territoire ennemi bien au au-delà de la lente avance des troupes et sans être arrêtée par des barrières topographiques (14)". Mais les réactions face à cette puissance aérienne ont été vives. En effet, la défense antiaérienne permet la défense de l'espace aérien et ce d'autant plus que la défense possède l'avantage de se battre au-dessus de son propre sol. Il y a donc eu en même temps surestimation des effets matériels des opérations de bombardement et sous-estimation de la résistance politique et industrielle des victimes. La " stratégie " nucléaire estime qu'elle constitue une dissuasion paralysante. Mais, selon la logique paradoxale, l'accroissement considérable de la force des armes nucléaires trouble l'équilibre. L'ennemi se doit de réagir. Il va développer des contres-mesures. La réaction fut le développement de mesures subversives et contre-subversives. Il s'agit là de l'une des raisons à l'introduction de régimes soviétiques en Europe de l'Est, mais surtout le développement d'un arsenal nucléaire.

II Logique militaire contre logique politique ?

A La défense et l'attaque (stratégie de théâtre )

1 ) La défense

Luttwak va continuer son analyse sur la défense de l'Europe occidentale face à une attaque soviétique. Deux solutions existent pour défendre l'Allemagne. Une défense en avant sur un vaste front en vue d'une interdiction totale du territoire ou une défense élastique. Il est souvent crédité à la défense un avantage numérique favorable de trois contre un. Ce rapport se retrouve sur tous les niveaux de ta stratégie aussi bien au niveau tactique qu'au niveau opérationnel. C'est donc sur cet avantage que se sont fondés les concepteurs de la ligne Maginot. Mais du fait du paradoxe de la stratégie, la ligne Maginot réputée invulnérable suscita une réplique relationnelle au niveau de la stratégie de théâtre : une poussée oblique des forces allemandes à travers les Ardennes belges. Pour la défense de l'Allemagne, les alliés prévoient d'utiliser des armes nucléaires sur le champ de bataille et dans les arrières. Mais la réaction soviétique sera vraisemblablement la même. Le gouvernement allemand sera t-il prêt à sacrifier sa population ?

Elément de la ligne Maginot
Tunnel de la ligne Maginot

Nous voyons donc qu'il y a un choix politique à faire. Ce choix politique va intervenir dans le type de défense à adopter. Ainsi, la défense élastique est la forme la moins souhaitable pour ceux qui gouvernent, mais elle est considérée comme idéale pour les militaires. En effet, par la liberté d'action qu'elle suscite, elle permet de conférer aux défenseurs les avantages de l'offensive, alors qu'ils luttent dans un environnement connu et présumé amical. A l'inverse, la défense en avant, qui vise à interdire toute intrusion ennemie sur le territoire des défenseurs, représente la pire des solutions militaires, mais la meilleure solution politique. Il convient donc d'effectuer un compromis entre ces deux alternatives. Ainsi, il convient de déterminer des choix intermédiaires en définissant une ligne de partage entre ce qui doit être protégé à tout prix et ce qui peut être abandonné au moins temporairement. Une alternative existe dans la défense en profondeur. Cette défense suppose une ligne de front moins étoffée qui n'est défendue ni intégralement ni totalement abandonnée. Il y a donc une défense sélective composée d'îlots de résistance échelonnés en profondeur sur les voies d'invasions. L'objectif étant de retarder l'adversaire, puis par une contre-offensive, mettre en déroute l'adversaire. Mais cette défense en profondeur, si elle paraît séduisante, ne permet pas de réaction pour contrer la réponse des Soviétiques selon la logique paradoxale de la guerre. Ils vont attaquer en masse et par surprise.

Une autre méthode de défense possible est celle de la guérilla. Dans ce cadre, aucun territoire n'est défendu sans esprit de recul, mais toute conquête de l'ennemi lui est sans cesse contestée par une méthode de harcèlement continu de ses troupes et voies de communications. Grâce à cette flexibilité, les guérilleros possèdent un indéniable avantage défensif au niveau opérationnel. Le recours à la guérilla est donc une manœuvre relationnelle face à des forces militaires supérieures qui combattent de manière conventionnelle. Elle exploite l'une des faiblesses de l'ennemi, à savoir la retenue dont fait montre l'ennemi lui-même. En effet, pour Luttwak, sauf exceptions, les comportements brutaux ont été rare. De plus, les autorités militaires n'ont jamais cautionné de représailles systématiques, comme dans le cas de la guerre d'Algérie ou du Vietnam, car le but était de gagner " les esprits et les cœurs ". Enfin, pour lui, les liens des guérilleros avec la population face à un occupant sans scrupules constituent une faiblesse. Nous ne pouvons aller dans le sens de Luttwak sur cette question. La manœuvre est certes relationnelle, mais le véritable enjeu de cette " petite guerre " c'est le soutien du peuple. De ce fait, l'utilisation de la terreur ou de la torture contre les populations constitue une erreur majeure (15) . L'effet sera totalement inverse, la population se ralliera en masse à la guérilla faute de choix. On ne peut donc miner une guérilla en s'en prenant à la population, on ne fait que la favoriser. De plus, gagner " les esprits et les cœurs " est impossible quand on pratique la torture, ce qui a été reconnu officiellement par la France ...(16)

Luttwak va développer la défense ponctuelle comme réplique possible à la guérilla. Cette défense est pratiquée avec des partisans. Le but est de défendre chaque point par des troupes qui peuvent rivaliser avec les guérilleros en mobilité et furtivité. La réaction de ces derniers sera de se regrouper pour les attaquer, mais ils perdent de ce fait leur principal avantage, la mobilité. De plus, en s'éloignant de leurs bases ils seront assimilés à des étrangers. Mais est-ce que cela peut marcher dans des guerres révolutionnaires où l'enjeu c'est de gagner sur le plan politique et non par les armes ?

Luttwak conclu sur les possibilités de défense de l'Allemagne, qu'il demeure impossible dans nos pays individualistes de former des partisans (17). La meilleure solution réside dans l'élaboration d'une défense de l'avant, car elle élimine les différences d'intérêts. L'objectif de la défense collective est de protéger toutes les parties du territoire. C'est la formule "la plus conforme à l'esprit des démocraties pluralistes, même si elle n'est pas forcément compatible avec leur survie(18). "

2) L'attaque

Pour Luttwak, même si la défense " de l'avant " est la plus souhaitable, il demeure une solution plus désirable : assurer la défense d'un théâtre par une contre-offensive immédiate. Ce choix implique un jugement sur l'équilibre des forces. Pour Luttwak, le défaut de la Russie est de ne pas pouvoir se lancer dans une offensive avec toutes leurs forces à partir de leurs bases. Cette attaque est aidée de la défense frontale qui retarde les troupes, l'objectif principal étant de lancer des attaques en profondeur. Mais cela exige des missiles " cargos " (19) qui visent ponts, viaducs et gares, mais aussi bases aérienne, dépôts, centre de commandements, bref toute l'infrastructure. Nous ne sommes pas loin d'un des objectifs de la RMA (Doctrine US : " Ax Land Battle, OTAN : Doctrine Rogers), rendre aveugle et sourd l'ennemi en touchant les centres de commandement et de contrôles. A l'époque de Luttwak, cela se fait avec l'artillerie et l'aviation ou des armes nucléaires. Luttwak remarque, chez les partisans de l'attaque en profondeur, une croyance dans le progrès pour gommer le paradoxe de la stratégie. Mais à l'évidence, les Serbes n'ont pas fait autre chose que d'utiliser le paradoxe de la stratégie en " sacrifiant " des tanks en carton contre des missiles sophistiqués. En effet, selon Luttwak, il existe une dissymétrie, dans la compétition, entre les systèmes d'attaques en profondeur et les contre-mesures qu'il convient de prévoir à leur encontre. L'attaque demeure dans l'incertitude, alors que les défenseurs sont plus à même de constater les dégâts réels. De plus, les moyens techniques aussi complexes et raffinés que des systèmes d'attaque en profondeur, sont réduits " au rôle d'instruments étroits, exposés à être submergés par les capacités vastes et variées qu'ils sont censés tenir en échec ". Ainsi, pour lui, il faut se demander s'il vaut mieux préférer les risques d'échecs du système d'attaque en profondeur ou les avantages d'un éventuel succès du fait de l'emploi d'armes nucléaires. Mais c'est à la grande stratégie de répondre à cette question.

B La grande stratégie

La grande stratégie constitue le niveau final de l'analyse de Luttwak. C'est " la forme quotidienne de la stratégie car le fonctionnement dynamique de la logique paradoxale se poursuit même en l'absence de guerre (20)" mais c'est aussi là où se forme la signification définitive des actions qui ont eu lieu au niveau horizontal et vertical. La grande stratégie est constituée de la confluence entre les interactions militaires qui montent et descendent d'un niveau à l'autre pour former la dimension verticale de la de la stratégie et des relations extérieures (au sens large : électronique…) qui forment la dimension horizontale en son niveau le plus élevé. Les actions militaires agissent sur les transactions non militaires entre les Etats et inversement. Luttwak, dans ce vaste domaine que représente la grande stratégie, ne va s'intéresser qu'aux transactions entre Etats, car on peut y déceler la logique paradoxale dans l'action de " rois-stratèges ". Le niveau de la grande stratégie est conduit, comme tous les autres niveaux, par une logique paradoxale. Mais la difficulté pour les gouvernements (surtout les démocraties) vient du fait qu'ils ont tendance à appliquer une logique linéaire en temps de paix dans leurs relations inter-étatiques; ce qui est, pour Luttwak, une indéniable source de faiblesse qui peut modifier l'équilibre des puissances.

Ainsi, les intérêts nationaux sont souvent définis par une logique linéaire : le bien est le bien, le mal est le mal. Luttwak prend l'exemple du contrôle des armements. Vouloir interdire la production d'une arme, ce qui suppose une capacité de vérification, entraîne le report d'une énergie créatrice en faveur de la production d'armes non contrôlables et donc non sujettes à limitation. Ce qui entraîne une annulation du " bien " de la limitation des armements. De même, l'utilisation de négociations directes pendant des guerres ouvertes est tout à fait classique, c'est l'absence de diplomatie directe qui est atypique, comme ce fut le cas pendant la Seconde Guerre mondiale, où une concession de l'élite a été faite au profit du sentiment des masses. Il convient d'aborder deux phénomènes importants : la suasion armée et l'harmonie-inharmonie qui a lieu dans la guerre.

1 ) La suasion armée

Au niveau de la grande stratégie, les résultats ne sont jamais éternels. Tous les effets, même la victoire scellée par des traités, ne sont que provisoires. Tous les résultats vont être modifiés par les réactions qu'ils suscitent eux-même. C'est l'effet, encore ici, de la logique paradoxale. Les premières conséquences de ces situations influent sur la suasion. Cette dernières est l'aspect de la puissance que les Etats retirent de leur force militaire.

Cette suasion armée a donc une grande importance en temps de paix. Cette notion ne recouvre pas seulement la dissuasion, remise au goût du jour par l'arme nucléaire, mais aussi la persuasion. La dissuasion ne concerne que l'ennemi alors que la persuasion peut toucher à la fois l'ami et l'ennemi. Quelle est l'importance de cette suasion ? Elle ne peut être évaluée que d'une façon subjective sur le potentiel de combat d'un tiers, ami ou ennemi. Il y a, en effet, une non-fongibilité des forces en dehors de la guerre. Elle permet une appréciation objective par la victoire ou la défaite. Une inconnue demeure sur l'évaluation des forces de l'ennemi, même si une comptabilité est tentée, car le moral, l'efficacité du commandement, ne peuvent être appréciées objectivement. L'objectif va donc être de maximiser, ou de minimiser, certes plus rarement, les effets de cette suasion sur l'adversaire. Tel va être le rôle de la diplomatie, de la propagande et de la ruse, tel a été le cas de l'Italie fasciste de Mussolini qui mettait l'accent sur la mise en scène ou le fameux " missile gap " de Krouchtchev. Peu de pays manifestent un bellicisme aigu pour augmenter leur capacité de suasion, car la suasion est latente. Cependant, la majorité des pays ne " veulent ni la paix à tout prix ni la guerre à tout propos (21) " . De ce fait, pour obtenir la paix, les pays doivent se préparer à la guerre, tel est le paradoxe de la situation. Le cas de l'arme nucléaire dissuade si bien les grandes puissances que celles-ci utilisent des voies détournées, comme la subversion. Ceci montre bien que le " plus " peut valoir le " moins ". De même, ce qui dissuade trop bien peut devenir la cible de l'attaque de l'ennemi et le pousser à l'action, tel fut le cas de Pearl Harbour.

Pearl Harbour

A ceci s'ajoutent les innombrables calculs quant à savoir où il faut frapper, qui, (les civils, le commandement ) et est-ce que cela sera utile face à des Hitler ou Staline pour afin que la dissuasion empêche la guerre? La relation entre les USA et l'URSS montre bien que l'arme nucléaire a dépassé son point culminant d'utilité. Enfin, la dissuasion n'est que l'application mécanique de la force militaire potentielle à une menace d'attaque.

2) Harmonie et inharmonie

Luttwak termine ici son livre en analysant les effets, au niveau de la grande stratégie, des harmonies et inharmonies entre les différents niveaux de la stratégie. Luttwak a déjà examiné auparavant les annulations totales des effets d'un progrès technique, telle la mitrailleuse annulée par la tactique (utilisation des mitrailleuses au sein de l'artillerie) ou les effets totalement positifs, tels les baïonnettes et les radars. Ces effets se font donc pleinement sentir sur la grande stratégie. Ceci d'autant plus que ces inharmonies sont inévitables par les évolutions différentes dans le temps des progrès techniques et de leur organisation. Ce que Luttwak va essayer de montrer, ce sont les effets beaucoup plus, subtils d'une interpénétration du succès et de I'échec. La logique de la stratégie, le " plus " engendrant le " moins ", joue son effet lorsqu'il existe une inharmonie suffisante entre la dimension verticale (les batailles) et la dimension horizontale (la politique) . S'il se produit une grave inharmonie entre les "niveaux de la dimension verticale, l'action militaire échoue tout bonnement (22)". Tel fut le cas de la confrontation entre le corps expéditionnaire allemand de Rommel et les forces britanniques en Afrique du Nord. Rommel possédait un désavantage stratégique par rapport aux Anglais bien implantés et ayant des sources d'approvisionnement sûres. Rommel ne pouvait compter que sur des troupes peu nombreuses mais bien organisées, ce qui lui confère un avantage opérationnel de mobilité, mais qui ne compensa pas l'extériorité de sa zone de combat par rapport aux intérêts allemands en Europe. De plus, même s'il disposait d'une force supérieure, il n'aurait pas obtenu de victoire définitive, sauf à aller jusqu'au Cap et en Inde lors d'une action concertée avec le Japon. Il est certain que les Allemands et les Japonais avaient dépassé le point culminant de leur succès dès respectivement Bengazi et la Birmanie.

Ceci est d'autant plus grave lorsqu'il se produit une inharmonie entre les deux dimensions, un succès vertical peut être pire qu'un échec. Tel fut le cas de Pearl Harbour. Les puissances de l'Axe connurent des succès verticaux (sur les théâtres de guerre), qui compensèrent un temps leur faiblesse sur le plan horizontal, mais en même temps du fait de ces échecs horizontaux (diplomatie, renseignement et propagande) l'Allemagne et le Japon se battaient contre des adversaires stratégiquement plus forts. Cette prédominance des alliés sur le plan vertical conditionna inéluctablement les affrontements sur les divers théâtres de guerre. Ils avaient donc une logique d'usure inéluctable (23). L'axe avait tout aussi mal choisi ses alliés que ses ennemis. De ce fait, ils ont perdu le maigre avantage obtenu par leurs "agressions hardies". Il peut donc y avoir une conjonction, au niveau de la grande stratégie, du talent militaire et d'une incompétence politique. Ainsi, " faire la guerre sans talent politique ne peut manquer de conduire à l'échec, mais le talent politique ne peut pas toujours se passer d'une guerre pour parvenir au succès (24). " On ne peut donc gagner une guerre sans être à la fois un bon stratège et un bon politique. L'exemple des Nord-Vietnamiens est révélateur en ce qu'ils ont su l'emporter en exploitant leur diplomatie et leur propagande pour diviser l'opinion publique américaine et briser le consensus permettant la guerre. Sans quelques réussites militaires, apportant leur lot de morts cette propagande n'aurait pu avoir un tel effet. Pour finir, nous voyons qu'il ne peut y avoir d'opposition entre la logique militaire et la logique politique. Les deux se supportent et la moindre défaillance dans un de ces domaines peut compenser des victoires dans un autre.

La stratégie peut-elle avoir son utilité ?

Luttwak nous a donc fait découvrir la logique paradoxale qui se retrouve dans les 5 niveaux et dans ses 2 dimensions. Il éclaire donc ici une sorte de manuel négatif pour le politique et le militaire. Mettre en œuvre une grande stratégie qui se plie aux exigences du paradoxe de la stratégie est une tâche de longue haleine, surtout pour le politique. Ces derniers doivent faire face dans les démocraties à la pensée linéaire des temps de paix. Les régimes autoritaires n'ont pas de problème avec le peuple, mais l'administration de tout Etat moderne comporte son lot d'inertie allant à rencontre d'une stratégie paradoxale. II convient, pour Luttwak, une fois que l'on a compris cette logique paradoxale qui conditionne tous les faits conflictuels de rompre avec la logique linéaire. Puis, dans la poursuite du succès, il convient de faire preuve de retenue en s'appliquant " un raisonnement contraignant à mesure que nous nous approchons d'un point culminant (25)" pour éviter les excès de nos pulsions "animales " pour les succès illimités. Enfin, on peut éviter les erreurs courantes : des décisions arbitraires prises à un niveau de la stratégie et " la recherche d'un succès unidimensionnel, sans le soucis de maintenir une harmonie entre les deux dimensions (26)". Finalement, Luttwak rappelle qu'il convient d'étudier la stratégie, indépendamment des applications pratiques, afin de comprendre " la persistance fascinante et les déconcertantes contradictions qui marquent l'expérience humaine des conflits ". Luttwak souhaite donc un retour à la tradition en intégrant l'Histoire de la stratégie et l'œuvre des classiques face à une pensée stratégique américaine dominée par les effets pervers d'une technicisation à outrance qui ne suffit pas à assurer une victoire politique. Au moment où des études sur l'application de la RMA au sein des forces armées américaines sont en œuvre, il demeure essentiel de se souvenir d'un principe simple qui régit la guerre : la logique paradoxale.

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(1) Edward N. Luttwak, Le paradoxe de la stratégie, Odile Jacob, Paris, page 93

(2) Ibid, page 93

(3) Ibid. page 79

(4) Gaston Bouthoul et Carrère, Le défi de la guerre: 1740-1914, deux siècles de guerres et de révolutions, Paris, PUF.

(5) Edward N. Luttwak, Le paradoxe de la stratégie, Odile Jacob, Paris, page 83

(6) La RMA est certes très présente dans les esprits, mais les pesanteurs institutionnelles rendent sa concrétisation assez lente, ceci d'autant plus que l'élaboration de la stratégie est encore à l'étude. Voir article d'Etienne de Durand, le débat américain sur la RMA: la révolution et les institutions, in Ramses 2002, Dunod, Paris, page 54.

(7) Il convient de se reporter au Ramses 2002 à l'article de Camille Grand, Révolutions technologiques et stratégiques, pp. 47-59.

(8) Revue Défense, décembre 2001, n°96, Enquête sur le fossé technologique, dossier pp 8-43.

(9) Fuller, J.F.C, Armaments and History, Da Capo, New York.

(10) Pour la définition du terme culture stratégique, on peut se reporter à la définition de Yitzhak Klein qui correspond le mieux à la vision de Luttwak : "la culture stratégique désigne l'ensemble des attitudes et croyances professées au sein d'un appareil militaire a propos de l'objectif politique de la guerre et de la méthode stratégique et opérationnelle la plus efficace pour l'atteindre " in Montbrial et Klein, Dictionnaire de stratégie, PUF, paris, 2001, Culture stratégique par Bruno Colson page 152

(11)Carl von Clausewitz, De la Guerre, Pérrin, Paris, livre 5, chap 2.

(12)On retrouve dans le dictionnaire de stratégie, op. cit. les notions de stratégie maritime et de stratégie nucléaire. Mais les " leçons " semblent avoir été retenues car la stratégie maritime serait supérieure à la stratégie navale qui ne serait qu'une sous-catégorie violente de celle-ci. Il y a donc une distinction qui est opérée par Hervé Coutau-Bégarie " un succès tactique n'a pas nécessairement d'effets stratégiques décisifs, du fait de la dualité de la stratégie maritime "

(13)C'est à cet avis que Hervé Coutau-Bégarie semble avoir souscrit après avoir écrit " La puissance maritime: Castex et la stratégie navale " en 1985

(14)Edward N.Luttwak, le paradoxe de la stratégie, Armand colin, paris, page 212

(15)Il convient de se reporter au livre de Chaliand (éd.), Stratégies de ta guérilla, Payot, Paris, 1994. Toutefois, si cela se vérifie dans presque tous les cas, il faut accorder le fait que le massacre systématique de la population peut fonctionner quelque soit son coût (cf Staline).

(16)Saïd Ferdi, Un enfant dans la guerre, Paris, Le Seuil, 1981.

(17)Clausewitz avait regretté en 1813, l'absence de partisans lors de la signature entre la Prusse et Napoléon du traité de Tauroggen, voir le chapitre 26.

(18) Edward N.Luttwak, le paradoxe de la stratégie, op. cit., page 180

(19)Aujourd'hui les missiles de croisières de type Tomahawks.

(20)Ibid, page 229.

(21)Ibid., page 250

(22)Ibid, page 287

(23)Une vision similaire à été développée par Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, paris, 1991. Les capacités de production des alliés allaient inéluctablement vaincre les puissances de l'axe beaucoup plus faibles du fait de leur surexpansion stratégique.

(24)Edouard N.Luttwak, le paradoxe de la stratégie, op. cit. , page 296

(25) Ibid, page 304

(26) Ibid, page 304

 
 
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