hhPage personnelle de Thomas PETIT
           

 

 

 

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II. Les Acteurs du procès de Klaus Barbie

Si l'on considère un procès comme une " agence d'exécution ", les rôles tenus par les acteurs sont définis de façon stricte par la loi, la procédure judiciaire... On retrouve donc l'accusé, la défense, les parties civiles, les témoins de la défense et de l'accusation, les magistrats du parquet… Le jeu est dual et il est géré par le président de la cour d'assise. Des tiers, à savoir, le public, les médias sont aussi présents.

A. L'accusé

L'accusé, c'est Klaus Barbie, le " boucher de Lyon ". Nous ne reviendrons pas sur son passé rapidement présenté auparavant. Certaines personnes ont essayé de savoir qui était Barbie. C'est le but affiché du documentaire de Marcel Ophuls ; Hôtel Terminus. Qui est Barbie ? Comment est-il devenu Nazi ? Pourquoi et comment a t-il commis ces atrocités ?

De Barbie, à part quelques documents d'époque, comme sa fausse carte d'identité au nom de Klaus Altmann et de rares photos qui n'ont jamais permis de l'identifier formellement, les chargés de l'accusation ont peu d'images. Il faut notamment attendre 1972 et le reportage de Ladislas de Hoyos pour avoir des images qui l'identifient formellement.(voir ci-dessous à droite)

Barbie jeune
Barbie en uniforme
Barbie à Lima

Quand il arrive en France, c'est 10 années après le reportage. Mais il faut attendre le procès pour avoir les photos. On y voit un homme âgé. Il est né le 25 octobre 1913 à Bad Godesberg. En 1987, c'est un homme de 74 ans qui comparait pour crime contre l'humanité. Il a été hospitalisé le 31 janvier 1987 pour des difficultés urinaires . Il sera opéré pour la deuxième fois en France le 7 février 1987 (la première fois le 6 mars 1983). Il n'est pas autant fait état de son âge par rapport à Papon. Pour Lucie Aubrac se jugeant " pédagogue ", s'est dit en voyant Barbie : " Ca va être affreux, les gens vont avoir pitié ", car si les nouvelles générations ne connaissent les Nazis qu'à travers des films où ils se comportent comme des brutes, ils n'ont jamais vu " un type qui était devenu vieux et grand-père " Cependant, le visage de Barbie va rapidement disparaître de la cour d'assisses. En effet, le 13 mai, soit le 3ème jour du procès, il annonce qu'il ne paraîtra plus à l'audience, car il trouve illégitime sa détention. Il fera un bref retour pour écouter la déposition de nouveaux témoins, puis on l'aperçoit pour les derniers jours du procès.

- Portrait d'un Nazi: Quelle est la description que les témoins font de Barbie ?

Il apparaît difficile pour certaines témoins de reconnaître Klaus Barbie. Ainsi, monsieur Bonnat reconnaît avoir vu Barbie alors qu'il ne l'avait jamais dit à ce jour. Il répond : " Non parce que j'avais des doutes. Et puis tout ça m'a travaillé à l'intérieur. C'est revenu après l'instruction ". Reconnaître Barbie n'est pas si évident, comme si les souvenirs étaient trop bien refoulés. En revanche pour certains cela saute aux yeux. Ainsi, Monsieur Courvoisier nous dit : " Je le reconnais à ses yeux enfouis sous ses sourcils, toujours les-mêmes, toujours ce regard de chacal. Je sais bien que je ne devrais pas dire ce mot ici, mais que voulez-vous… ". Lise Lesèvre connaissait de " réputation " avant de le rencontrer dans les salles de tortures. Elle retient ses yeux qui " outre leur mobilité et le fait qu'ils étaient très clairs, avaient quelque chose d'étonnant :quand il frappait, les pupilles se dilataient. Il éprouvait une jouissance manifeste à frapper ". Léo Reifman reconnaît Barbie lors de l'arrestation des enfants de la colonie d'Izieu : " C'est Barbie, je le sais. Même profil, même visage anguleux, même silhouette. C'est resté gravé dans ma mémoire ". Simone Lagrange (kadoshe) a eu le malheur de le rencontrer Barbie à la prison de Montluc. Lors de sa première apparition " Barbie […] portait un chat dans ses bras. Il le caressait. Je n'avais pas peur, il ne ressemblait pas aux S.S. que l'on racontait aux enfants […] Il est venu vers moi, il m'a caressé sur la joue, il m'a dit que j'étais mignonne [quand les parents ne peuvent lui dire où habitent ses frères] Barbie a tiré sur la résille qui retenait mes longs cheveux blonds. Ils se sont déroulés, il a tiré dessus de toutes ses forces et j'ai reçu la première paire de gifle de ma vie ". Plus tard, à la prison de Montluc, Barbie voulant toujours savoir où habitaient ses frères est venu la chercher. " Il arrivait avec son sourire mince comme une lame de couteau. Cela a duré sept jours, coups de pied, coups de poing sur les plaies mal refermées de la veille. Le premier soir, il m'a ramené lui-même à Montluc, j'étais un pansement sanguinolent. Il m'a jeté dans les bras de ma mère en lui disant : " voilà ce que tu as fait de ta fille. "

" Barbie sourit ", titrait Libération (12 mai 1987), il reste distant et le deviendra encore plus quand il refusera de comparaître. D'ailleurs son état de santé laisse craindre selon certains médecins des risques cardiaques. Néanmoins, Barbie est identifié par ses yeux, ses oreilles, son sourire. Quel est le rôle alloué à Barbie dans ce procès ? C'est l'accusé, c'est le prétexte pour Cavada, dans son émission la Marche du siècle en 1993. Dès lors, Barbie n'est plus le personnage central du procès. Il reste, néanmoins le " boucher de Lyon ". A la question qu'on lui pose, à savoir comment un psychanalyste appellerait Barbie, Gérard Miller répond " il l'appelle, comme tout le monde, un monstrueux assassin ". Barbie est donc décrit comme un assassin froid, un rapace penché sur son perchoir, qui ne répond que " nicht zu sagen " aux témoins et victimes. Ce " rien à dire " qui renforce cette image de prédateur froid et calculateur.

Dans cet événement qu'est le procès Barbie, c'est son avocat, seul au début qui va se substituer à lui. Cet avocat c'est Jacques Vergès.

B. La défense : l'avocat Jacques Vergès

Cet avocat médiatique, a un passé énigmatique et chaotique. Il a été l'avocat du FLN, et on ne sait ce qu'il est devenu pendant une dizaines d'années. Le rôle que s'est assigné Vergès, c'est de parler des crimes de la France en Algérie, c'est de parler de la France collaboratrice, son rôle c'est de faire peur. Vergès l'a souvent dit et il le répète, même après le verdict : Ce procès n'a qu'un seul objectif c'est diviser la France. Il joue sur les peurs françaises, car il espère bien que le procès de Barbie n'ait pas lieu. Néanmoins, après la disparition de Barbie, Vergès reste seul, il reste seul devant les caméras. Ainsi, pour Bernard-Henry Lévy, " c'est le premier procès, à ma connaissance dont le " héros " ne soit pas l'accusé mais son avocat. "

Vergès au tribunal

 

5. Dessin de Plantu dans Le petit juge illustré, seuil, 1999, page 52

Vergès remplace, voire phagocyte Barbie dans le procès. Dès lors, " les journalistes de radio n'ont pas eu tort de confondre l'accusé et son avocat. Quand on écrira plus tard l'histoire de ce procès, on pourra le décliner sous diverses formes : Barbie-Vergès, Vergès-Barbie… ". Au sortir du tribunal, quand la condamnation de Barbie est tombée, Vergès est hué, sifflé. Claude Lanzmann, pour parler de cette situation, avance des critères psychologiques. Pour lui, Vergès à un fantasme profond : celui d'être lui-même l'accusé . Pour rester dans une terminologie psychologisante, Vergès cherche à produire un transfert de l'attention vers lui, de juger Barbie à travers son rôle d'avocat. Au regard du comportement du public à son égard, il peut apparaître qu'il a réussit à être assimilé à Barbie, à représenter l'ennemi. A cet égard, beaucoup de personnes s'interrogent sur un éventuel antisémitisme de Barbie, c'est ce que cherche à savoir Ophuls dans son documentaire et ce qu'avance Jacques Givet dans son portrait dans le livre qui se veut l'archive d'un procès, sous la direction de Bernard-Henry Lévy. Ainsi, Vergès militant d'extrême gauche rejoindrait l'extrême droite sur un antisémitisme commun et qui expliquerait qu'il n'a aucun mal à passer d'un côté et de l'autre, puisqu'ils se touchent à cet endroit. Vergès se trouve donc assimilé à Barbie, lui aussi semble alors être un antisémite.

Avec la condamnation de Barbie, c'est Vergès qui trinque. On parle de l'effondrement de celui qui a fait douter de l'ouverture du procès, celui qui a mit en avant les dangereuses révélations, tombe sous le rouleau de critiques. Bernard-Henry Lévy parle du " côté bidon, frelaté du personnage " Il convient de remarquer, qu'au cours du procès Vergès se fera épauler par deux avocats Me M'Bemba du barreau de Brazzaville et Me Bouaïata, du barreau d'Alger, pour appuyer sa thèse sur les crimes commis par la France dans ces pays.

C. L'accusation, les parties civiles

Face à Klaus Barbie et à Jacques Vergès, 39 avocats représentent les parties civiles dans toute leur diversité : anciens déportés juifs, anciens résistants déportés…Parmi eux se trouve Serge Klarsfeld : " l'homme par qui tout a commencé " véritable instigateur et enquêteur qui a étayé le dossier du procès. Quand le Monde titre le 10 et 11 mai 1987, que le procès sera l'affrontement de Serge Klarsfeld " militant de la mémoire " contre Vergès " Un maître iconoclaste ", il s'agit de réduire le procès à ce duel. Vergès, lui, considère que le procureur Truche est son seul adversaire sérieux.

Serge Klarsfeld

Sans entrer dans la réduction du procès à ce duel, nous montrerons avec les plaidoiries de quelque uns des avocats des parties civiles le rôle qu'ils s'attribuent. Pour Klarsfeld, " ce n'était pas une plaidoirie, c'était une introduction : il me semblait important de faire rentrer tous ces enfants dans le prétoire ". Pour ce faire, il nomme les enfants qui sont morts, lit leurs dernières lettres… Les avocats des parties civiles, s'associent à la démarche de mémoire. Pour maître Jakubowicz : " C'est […] au titre de l'avenir et notamment de l'avenir juif fidèle à sa mémoire et à son passé que je suis devant vous. Car ce procès est un procès pour l'avenir, pour l'espérance ". Pour Maître Andreani-Jungblut, " Ma présence ici témoigne simplement de ma solidarité avec l'humanité ". Maître Roland Dumas, revient sur la plaidoirie de Klarsfeld : " Voyez-vous, ce n'est finalement pas le hasard si Serge Klarsfeld qui combattit le premier et moi qui plaide aujourd'hui le dernier, pour les parties civiles, ont eu l'un et l'autre un mort le même jour, le premier pour avoir protégé des vies, l'autre après avoir dit aux siens : " ce que je fais, c'est pour vous que je le fais. " Enfin, maître Vuillard dit : " Nous sommes tous main dans la main - avocats, témoins, victimes. Debout les morts ! ".

Il ressort des plaidoiries des avocats, que s'il faut condamner Barbie, ce n'est pas seulement pour les crimes contre l'humanité qu'il a commis, mais aussi pour la mémoire. En fin de compte pour maître Zaoui : " Etre partie civile dans un procès […] c'est être reconnu par l'institution judiciaire, donc par la collectivité, dans sa qualité de victime ". Le procès en lui-même participerait à reconnaître la souffrance des victimes, et, en fin de compte, à les intégrer dans une communauté d'émotion qui permette une " reliance " selon le sens développé par Michel Maffesoli . Le rôle que s'attribuent alors les parties civiles, c'est de faire œuvre de mémoire, faire en sorte que les crimes ne soient pas oubliés.

6. Dessin de Plantu dans Le petit juge illustré, seuil, 1999, page 52

D. Les médias, un procès filmé pour la mémoire

Le procès de Barbie, comme les autres procès français à l'encontre des crimes contre l'humanité dit de " seconde épuration ", est filmé. Ainsi de Nuremberg jusqu'à Papon ces procès sont filmés dans leur intégralité. Ces caméras, qui ne sont pas celles des journalistes constituent un acteur à part entière. Ce sont les témoins du futur. Certains acteurs parlent aussi bien aux publics présent dans la salle, qu'au téléspectateur du futur. Cette idée du procès filmé participe à une vision pédagogique du procès. C'est avec le procès Eichmann qu'apparaît pour la première fois et dans tout son sens le thème de la pédagogie et de la transmission. Ce thème est aussi fortement présent dans le procès Barbie. Les acteurs du procès font parfois, voir souvent, référence au fait que le procès est filmé et que les témoins parlent pour la postérité.

7. Dessin de Plantu dans Le petit juge illustré, seuil, 1999, page 50

C'est la loi du 11 juillet 1985 qui autorise la constitution d'archives audiovisuelles de la justice, qui ne concerne que les procès à caractère historiques dont le caractère aura préalablement été reconnu. La diffusion n'est permise qu'après 20 ans et après autorisation judiciaire. La diffusion et la reproduction étant libre après un demi-siècle. Il convient de voir la difficulté qui existe autour de l'image, du récit sur les camps de concentration, comme dans le dernier livre de Georges Didi-Huberman, Images malgré tout , pour comprendre que les camps de concentrations ont eu du mal à sortir d'un discours sur l'impensable, l'inimaginable, l'innommable. En effet, pour de nombreux auteurs, comme G. Wajcman, et cela à été sans aucun doute renforcé par le comportement de la société qui ne voulait ni voir, ni entendre, on ne peut décrire, montrer les camps de concentrations. Le souhait d'installer des caméras dans le prétoire, de faire parler les témoins, montre qu'il n'en est rien, que tout cela a été malgré tout fait, pensé, orchestré par des être humains, et que cela est pensable, compréhensible. A ce titre, il convient de voir l'importance qu'à revêtus certains documentaires comme celui de Claude Lanzmann : Shoah. De plus, le documentaire de Resnais, nuit et brouillard et la très célèbre série américaine qui retrace les camps de concentration : Holocauste (série TV 1977, vue par 120 millions de personnes aux USA), participe à une mise en image, à une mise en récit, ce qui est la base même de l'histoire.

Nous avons précédemment soulevé que 40 années se sont écoulées, 40 années où le récit de la seconde guerre mondiale et de l'holocauste se sont développés. Il demeure intéressant de remarquer, dans l'une de ses rares interventions, que Klaus Barbie a utilisé ce développement du support visuel comme moyen de négation du vécu des victimes. Ainsi, Barbie réplique au témoignage de Madame Gudefin : " Cette dame est trop allée au cinéma, et elle raconte maintenant le film qu'elle y a vu ".

En fin de compte, l'enregistrement du procès vise à fournir un support pédagogique aux générations futures, qui sont nées longtemps après la Shoah et les camps de concentrations. Le procureur général Truche souligne cette dimension du procès : " Vous savez que ce procès ira à son terme. Et, dans un certain nombre d'années, les personnes qui seront admises à voir et à entendre l'enregistrement intégral de ce débat, se demanderont : mais comment se fait-il qu'il n'ait rien à dire de tout cela ? " Même les témoins prennent en compte cet aspect transmissible du procès. Ainsi, Pierre Durand cité à comparaître comme témoin par la FNDIRP ( Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes) nous dit que " ce n'est pas parce que 42 ans ont passés qu'il ne faut plus en parler. (…) Nous sommes aujourd'hui peu de survivants ; nos voix s'affaiblissent. Il était bon de les faire entendre encore pour montrer à ceux qui, dans 20 ans ou 50 ans, verront l'enregistrement de ce procès, que nous avons tenu notre serment ".

Nous serons autorisés à voir des extraits de ce procès lors de l'émission La marche du siècle du 8 septembre 1993. L'intégralité du procès est régulièrement diffusée sur la chaîne câblée Histoire depuis 2000.

Enfin, comment ne pas omettre le rôle que les médias ont et ont voulu tenir dans le cadre de ce procès. Si nous avons précédemment abordé la place que les médias occupent dans cet événement, nous nous reproduirons que quelques commentaires sur les médias. On souligne déjà au procès de Barbie la part importante des médias. Plus de 900 journalistes, ce qui dénote l'attrait du procès de Barbie. Mais comme nous l'avons indiqué, si de nombreux journalistes sont partis lors du refus de comparaître de Barbie un nombre notable de journalistes sont restés, ceux qui cherchaient autre chose que l'aspect purement sensationnel de Barbie et de l'éventuel discussion de l'affaire de Caluire (lieu où Jean Moulin a été arrêté). Les journalistes souhaitant continuer d'assister aux audiences voulaient participer au devoir de mémoire, a l'obligation qu'ils ont ressenti de retransmettre la souffrance des victimes. Car sans ces victimes il ne resterait plus rien du procès. Ce devoir de mémoire s'est traduit par l'enregistrement, la transcription de la parole des victimes. Ainsi, pour Salomon Malka, c'est " le ton général (les témoignages, encore les témoignages…) "qui prédomine. Il suffit pour ce faire de regarder la place importante des citations dans les quotidiens nationaux Le Monde et Libération pour s'en convaincre.

En outre, avec la disparition de Barbie, le sensationnalisme disparaît, les journalistes qui sont restés se sentent investi d'une mission pure et brocardent ceux qui sont partis avec Barbie. Ainsi les journalistes sont entrés dans la tonalité générale du procès : La mémoire, l'empathie avec les victimes. Rien n'en réchappe. Cette tonalité reste, perdure encore jusqu'en 1993, lors de la diffusion télévisée d'un montage, panégyrique de l'horreur, de 45 minutes du procès. On revient sur les témoignages qui marquent. On retrouve en 1993, un extrait de la déposition de Madame Simone Lagrange (Kadoshe) : " Tout d'un coup, au camp, parmi les prisonniers, j'ai aperçu mon père. Elle s'arrête. Jette un œil vers ses frères et sœurs, dans la salle, et l'on pressent qu'elle ne leur a jamais raconté ce qu'elle va raconter. " Un allemand m'a dit : c'est ton père ? Va l'embrasser ! Il a fait signe à mon père, qui s'est approché. Il l'a fait mettre à genoux, et… Elle s'arrête encore. Et il lui a tiré une balle dans la tête . "

Cette confession, qui s'offre à nous, que ni ses frères et sœurs ne connaissaient, nous plonge dans la vie de cette femme, dans leur malheur. Comme le souligne Georges Didi-Huberman, il est tentant de tomber dans une esthétique de l'horreur quand on parle des camps de concentration. Néanmoins, pour Salomon Malka : " ce travail de mémoire, la presse l'a fait dans son ensemble. Honnêtement. Convenablement. Privilégiant les faits, la couverture strictement informative, sur le commentaire et l'éditorial "

Ce qui est nouveau à Lyon, c'est l'ampleur du phénomène de médiatisation qui ne cesse depuis lors de croître. Avec le procès de Maurice Papon, la médiatisation ne fait que s'accentuer. Néanmoins, le procès Barbie a été relativement protégé de ces excès. Mais n'est-ce pas par la rupture d'intelligibilité qui s'est produite ? En effet, auparavant c'était l'accusé qui était au centre de la médiatisation. Désormais, pour ces crimes contre l'humanité, n'est-ce pas plutôt les témoins, les victimes qui deviennent le personnage central ? On peut avancer que les journalistes qui sont restés, ont compris le glissement du centre d'intérêt de l'accusé, vers les victimes. Il s'agit désormais de se mettre à leur place, de ressentir ce qu'ils ont subi. Avec le procès Barbie de nouveaux acteurs sont entrés en scène : les Historiens.

E. Les Historiens, experts de la mémoire ?

Quelle est la place des Historiens dans les procès de crime contre l'humanité ?

Le procès de Klaus Barbie, se déroule 40 ans après les faits. De ce fait, il apparaît utile de demander à des historiens de témoigner de l'état de la société de l'époque, bref de témoigner objectivement du passé, du " contexte historique ". Néanmoins, plusieurs historiens se posent la question de savoir s'ils peuvent comparaître comme témoins.

Pour Henry Rousso, " les historiens [sont] en principe tout sauf des témoins du passé ". En effet,si des auteurs comme Carlo Ginzburg ont montrés la parenté entre la rhétorique judiciaire et la narration historique, n'y a t-il pas une différence de nature ? Pour Ginzburg, les historiens sont, en somme, des juges d'instruction du passé. Mais mis à part cette ressemblance, le métier d'historien est soumis à des règles propres à sa discipline. Cependant, ils sont invités aux procès pour justifier leur tenue tardive, exceptionnelle et historique. Mais, pour Henry Rousso, leur devoir civique et moral était de ne pas comparaître, car ce ne sont pas des témoins.

Les historiens ont été appelés à la barre comme " témoins d'intérêt général " dont on attend des réflexions sur la politique hégémonique et idéologique de l'Etat Nazi. Pour Jean-Marc Théolleyre, " ce que l'on pouvait craindre s'est produit ". En effet, le président Cerdini à du intervenir pour recadrer des témoignages qui faisaient des récits personnels. De plus, Pierre Truche, procureur général du intervenir : " Je comprends que l'on parle du Nazisme en général, mais il ne faut pas faire porter non plus à Barbie le poids des actes pour lesquels il a déjà été condamné [Crimes de guerre] ou qui ne lui sont pas reprochés. Sinon nous partons vers une dérive dangereuse ". Il apparaît donc que ces grands témoins ont du mal à trouver leur place à côté des " vrais " témoins des crimes de Barbie. En effet, un commentateur comme Jean-Marc Théolleyre souligne que les moments les plus forts du procès, à savoir les témoignages des victimes, sont passés. Entre ces derniers qui ont su susciter une émotion et les grands témoins qui naviguent entre grande Histoire et petite histoire, il y a un évident problème de rôle à jouer. Les grands témoins n'ont donc pas réussi à apporter un plus au procès : ou du moins su susciter une émotion. Dans ces grands témoins, il y a des historiens, mais aussi des personnalités comme Chaban-Delmas ou Geneviève De Gaulle, qui réussit, elle, à retrouver une place en se rapprochant des victimes. Ainsi, il est intéressant de lire une phrase de Jean-Marc Théolleyre : " Geneviève De Gaulle renouvelle les récits entendus et y ajoutant toutefois quelques notes complémentaires ". Et on entend Geneviève De Gaulle dire : " J'y ai vu une petite fille tuée à coups de bêche ".

Reste d'autres acteurs, qui se sont introduit dans le procès en assistant aux audiences. Ce sont de nombreux essayistes, tels Finkelkraut ou Bernard-Henry Lévy. Le titre du livre (Archives d'un procès) dirigé par Bernard-Henry Lévy est d'ailleurs symptomatique du rôle qu'ils ont voulu tenir dans cette œuvre de mémoire.

Ce dernier aspect est symptomatique de la réception du procès de Klaus Barbie. Il n'est plus le centre d'intérêt, ce sont désormais les victimes. Ainsi, le véritable événement du procès de Klaus Barbie, c'est la prise de parole des victimes. Ces victimes participent ainsi à un " devoir de mémoire " et sont en plus porteuses d'une forte émotion. C'est cette émotion qui sera porteuse de la mémoire. Nous ne traiterons pas dès à présent dans cette analyse des acteurs le rôle des victimes. Nous préférerons l'aborder en deux aspects : comment les victimes créent l'événement du procès Barbie, créent l'émotion, puis comment ces victimes participent à ce qu'Annette Wieviorka appèle : l'ère du témoin.

 

 

 
 
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