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Le bleu :
Le bleu est-il la couleur préférée de Lynch ?
D'après Michel Pastoureau (Bleu, histoire d'une couleur, Paris,
Seuil, 2002) "C'est la société qui fait la couleur,
qui lui donne son sens, qui construit ses codes et ses valeurs, qui organise
ses pratiques et détermine ses enjeux. Ce n'est pas l'artiste ou
le savant; encore moins l'appareil biologique de l'être humain ou
le spectacle de la nature"(p.8). Ainsi, de couleur chaude le
bleu est devenu au fil du temps une couleur froide, jusqu'à représenter
la mer (verte au moyen-age). Cette conception entre en faux avec le discours
de l'artiste créatif. Au final, Lynch aurait-il un goût commun
à nous tous envers cette couleur, comme toutes les sociétés
occidentales?
Quel est le sens actuel du bleu ?
Pour Pastoureau, le "bleu est devenu un mot magique, un mot qui
séduit, qui apaise et qui fait rêver" (p.158). Tel
peut-être le sens de l'éclairage bleu lors de la chanson
phare de Blue velvet (voir ci-dessous à gauche), mais aussi dans
Mulholland Drive (silencio) et après la mort de Laura dans Twin
Peaks (à droite). Seuls moments où les deux personnages
connaissent la paix et le repos.

Néanmoins, le bleu est devenu une couleur quasi neutre. En effet,
pour Pastoureau, "contrairement à ce que l'on pourrait
croire, ce goût prononcé pour le bleu n'est pas l'expression
de pulsions ou d'enjeux symboliques particulièrement forts. On
a même l'impression que c'est parce qu'il est symboliquement moins
marqué que d'autres couleurs (notamment le rouge, le vert, le blanc
ou le noir) que le bleu fait l'unanimité." Etonnant quand
on sait la forte charge symbolique existante et mise en avant dans les
films de Lynch. Cependant, cette couleur bleu, on la retrouve aussi lors
de moments clefs des films de Lynch. Ainsi, lorsque le héros de
Lost Highway se "transforme", on retrouve aussi cette couleur.

Pastoureau dans son livre enfonce le clou (il ne parle pas de Lynch,
mais du bleu) le bleu est "dans les enquêtes d'opinion,
la couleur la moins souvent citée comme détestée.
Il ne choque pas, ne blesse pas, ne révolte pas. De même,
être la couleur préférée de la moitié
de la population est probablement l'expression d'un potentiel symbolique
relativement faible ou, en tout cas, peu violent, ni transgressif (p.158)".
Lynch, non violent, non transgressif ? Cela ne colle assurément
pas avec son image de marque. En outre, pour Pastoureau, "quand
nous avouons que notre couleur préférée est le bleu,
que révélons-nous vraiment de nous-mêmes ? Rien, ou
presque. C'est tellement banal, tellement tiède. Tandis qu'avouer
préférer le noir, le rouge ou même le vert..."
Lynch aurait-il donc un goût banal ? Lynch peut-il aimer ce bleu
si "calme, pacifique, lointain, presque neutre (p.159)"
? Usage qui se trouve confirmé par l'usage du bleu par l'ONU (casques
bleus), de l'Unesco, l'Union Européenne... Ainsi, "le bleu
est devenu la plus pacifique, la plus neutre de toutes les couleurs. Même
le blanc semble posséder une force symbolique plus grande, plus
précise, plus orientée (p.159)".
Qu'en est-il de ce velours bleu (blue velvet) mangé par Frank
Booth/ Dennis Hopper. Est-ce là une volonté d'atteinte de
la quiétude ?
En revanche, quand le père de Laura surgit pour la tuer, les éclairs
sont bleus et annoncent la mort, tout comme ils annoncent le changement
de personnalité dans Lost Highway. Le bleu est aussi la couleur
de la boite de Mulholland Drive, contenant tous les mystères du
film. Lynch ne détourne t-il pas le sens moderne du bleu ? Ce bleu
si froid, "froid comme nos société soccidentales
contemporaines dont le bleu est à la fois l'emblême et le
symbole et la couleur préférée" (p.160).
Au regard de tous ces éléments, il convient d'apporter
une forte nuance. En effet, le bleu utilisé par Lynch demeure bien
souvent un bleu de néons ou d'éclairs, un bleu électrique.
Ce bleu est violent. Il aggresse le regard, il n'est pas reposant, il
est blafard et entre souvent en confontation avec d'autres couleurs, notamment
le rouge.
Le bleu aurait-il donc une autre conception chez Lynch ?
Dans ses films, Lynch essaye de montrer l'envers du décors. Par
exemple, derrière les fleurs de Blue Velvet grouille la vermine.
L'usage du bleu ne s'insère t-il donc pas dans un autre usage,
plus transgressif ? Ce bleu "Lynchien" est celui où l'on
passe d'une vérité/réalité à une autre,
c'est aussi une porte d'entrée à l'inconscient, telle est
le sens de la boîte bleue et de sa clef dans Mulholland Drive (gauche).
Ce bleu décrié par Pastoureau comme impersonnel, mais qui
fait rêver, un bleu de quiètude se révèle bien
trompeur dans les films de Lynch. Le calme de la chanson Blue Velvet s'érode
rapidement face à la perversion de Frank (droite). Le bleu Lynchien
s'évertue donc à faire ressortir le jeu de dupe de nos sociétés
occidentales cherchant la quiètude, alors que la perversion, la
mort rode. Ce n'est que lorsque cette lumière bleu (centre) s'éteint
que le monde faussement idéal (le notre ?) reprend ses droits.
Ainsi, le bleu de Lynch ne demeure peut-être pas sa couleur préférée,
mais elle est utilisée pour faire ressortir l'état léthargique
qui demeure peut-être le notre dans cette société
de consommation où le "bonheur" à tout prix est
la clef de voute.
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